Malgré sa concentration, malgré la poigne ferme qu’il exerçait sur le manche de son épée et l’attention qu’il portait aux alentours, Cloud ne pouvait empêcher l’exaspération de le gagner lentement. La situation était ridicule. Ou plutôt, c’était le nombre bien trop gargantuesque d’ennemis qui l’était.

Ils n’étaient là que depuis quelques secondes, mais formaient déjà une étrange masse noire devant lui, comme une grande flaque informe et mouvante parsemée d’une multitude de paire de billes jaunes brillantes. Ces créatures étaient étrangement peu menaçantes si l’on s’en tenait à leur aspect visuel. Individuellement, elles étaient faibles, si faibles, pas plus dangereuses qu’une piqûre d’insecte.
Cloud pouvait largement survivre à une piqûre d’insecte.
Une cinquantaine, par contre, serait assez gênant, pour ainsi dire.
C’était frustrant.

C’était de plus en plus difficile de les discerner les uns des autres. Est-ce que c’était lui, ou il faisait plus sombre ? Non, la couleur du ciel n’avait pas changé. Était-ce le genre d’effet que les ténèbres pouvaient avoir sur la perception ?
Cloud ne se sentait pas particulièrement en danger, il n’était même pas essoufflé, il pouvait les maintenir à distance d’un simple geste circulaire du bras. Mais l’affaire devenait urgente. Cloud ne pouvait pas les éliminer. Sa lame ne parvenait qu’à les repousser, la lumière baissait étrangement et ces petites choses lui barraient la route. Il avait l’impression d’être en face d’une fourmilière et c’était vraiment déconcertant.
Les sans-cœurs grouillaient, et il ne pouvait rien faire à proprement parler.
Le problème était dans son ensemble bien plus compliqué que cela. La présence de sans-cœurs allait de paire avec les ténèbres - ces dernières étaient un réel sujet d’inquiétude qui revenait beaucoup à l’auberge dans laquelle il s’était établi pour le moment. Cloud ne prenait jamais part aux discussions et se contentait d’écouter, mais clients comme propriétaires parlaient souvent de ces temps sombres. Tout le monde était touché.

De son côté, Cloud n’avait pas de quoi payer, n’ayant rien à convertir en ‘munnies’, alors un accord avait été établi avec la tenancière : il aidait à sa façon en réparant de qu’on lui demandait de réparer (et Odin savait qu’il n’avait pas de quoi chômer) en échange d’une chambre. Au passage, il en profitait pour enquêter de son côté.
Retrouver ses proches n’était pas une tâche facile dans un monde - un univers inconnu, plus vaste encore que sa terre d’origine et sans aucun point de départ, aucun indice.
Néanmoins, la Cité du Crépuscule n’avait pas l’air d’un mauvais endroit pour commencer. Il ne s’y attarderait sûrement pas, cependant, s’il le trouvait rien.
Et puis, cet endroit était dépaysant, trop dépaysant. Ce crépuscule constant, cette lumière à jamais orange, ces endroits déserts, cette ambiance étrange… Cloud ne pouvait s’empêcher de trouver ce endroit sinistre malgré sa douceur. C’était tranquille. Stagnant.
Les pavés sous les ombres était d’une couleur trop claire par rapport à leur noirceur anormale.
Il ne comptait pas mettre cette impression se mettre en travers de son chemin.

C’est pour cela que dès qu’il terminait quelques tâches (la dernière en date avait été de reboucher la gouttière), il cherchait sans relâche. C’était comme cela qu’il s’était retrouvé loin des zones fréquentées, la route du retour barrée par un nombre hallucinant de sans-cœurs.

Ces derniers attaquaient sans être vraiment virulents mais ne faisaient pas de pauses non plus, ce qui maintenait la concentration de Cloud sur leur présence. Il fallait se rendre à l’évidence : il fallait qu’il trouve un moyen de les contourner. C’était plus facile à dire qu’à faire, surtout maintenant qu’il était vu. Il avait bien plus l’habitude de foncer, d’éliminer les obstacles et de continuer sa ligne droite. C’était un risque à tenter.
Il regrettait amèrement la présence de Fenrir, qu’il avait laissé dans le garage de l’auberge. Pourquoi ? Trop d’escaliers, de pentes, de rails et de chemins peu praticables. Même s’il l’avait eue avec lui, elle aurait été plus encombrante qu’autre chose.

Plutôt que de s’évertuer à avancer, il tenta quelques pas en arrière. C’est à ce moment là que la situation se compliqua quelque peu.
Une partie des sans-cœurs sembla fondre, devinrent des ombres avant de se glisser dans le sol et le contourner. Elles réapparurent derrière lui. Cloud plissa les yeux. C’est qu’elles étaient tenaces. (Pas autant que lui.) Une multitude de bruits se firent entendre, comme des petites explosions, et de nouvelles créatures firent leur apparition. Plus grandes, bleues marines et couvertes de petites armures.
C’était clair : elles étaient de plus en plus nombreuses, et il devait partir maintenant avant de se retrouver dans une position réellement délicate.
S’il ne pouvait pas les éliminer, s’il ne pouvait pas les distancer en un clin d'oeil, alors il les écarterait lui-même.

S’en aller vers les habitation signifiait envoyer cette vague de petits monstres vers les citoyens, ce qui n’était tout simplement pas envisageable, et là était la plus grande difficulté. Il ne pouvait pas risquer des les emmener avec lui, alors il se retourna, pris appui sur sa jambe gauche, plaça la lame de son épée vers l’avant et, courbé, il fonça. La brève aide de sa matéria de feu lui permit de passer de l’autre côté sans encombres, écartant les sans-cœurs le temps qu’il passe dans une vrille. Cloud ne prêta pas attention à ceux qui rencontrèrent les murs dans un fracas métallique : il était déjà loin. Si ces créatures avaient été des ennemis ordinaires, elles ne seraient plus de ce monde depuis bien longtemps.
Silencieux et peu loquace comme il était, il était souvent assez facile d’oublier la présence de Cloud dans une pièce. Il était temps de mettre ce talent à l’oeuvre, et consciemment.
C’est ce qu’il s’appliqua à faire quelques minutes de course plus tard,  après avoir sauté d’un balcon et avoir immédiatement embranché dans une nouvelle rue déserte. Il y avait un passage un peu à l’écart qui menait, s’il se souvenait bien, vers une forêt encore plus déserte - il s’y engagea, s’adossa au mur près de l’entrée et concentra son attention sur son ouïe. Il n’y avait plus aucun bruit. Il n’y avait que le léger bruit de sa respiration et-
Des pas.
Ses sourcils, déjà marqués par la vigilance, continuèrent de se froncer. Il était si près de la zone civile ? Non, tout était vide. Il n’y avait que lui et les ombres.
Lui, des ombres, et des pas.

Il y avait quelques mois de cela, Cloud s'était retrouvé dans une énième situation désespérée, de vie ou de mort, de tue ou sois tué. C'avait été un combat aux allures de fin de monde dans les ruines d'une ville détruite par un cataclysme qu'il n'avait pas su arrêter.
Un jour un peu différent des autres, en somme.

A ce moment là, Cloud avait eu un moment de faiblesse. De trop multiples blessures, fatigue physique et mentale, solitude face à ennemi éternel.
Solitude ? Il s'était rendu compte que non. Non, parce qu'il avait des personnes sur qui il pouvait compter en cas d'ultime recours - lors d'urgences, d'instants de doutes, lorsque ses épaules ne se révélaient pas assez larges. Cela arrivait plus souvent qu'on ne pouvait le croire.

Bref, Cloud avait connu des situations dangereuses.
Celle-ci n'en était pas vraiment une.
Délicate, peut-être. Agaçante, certainement. Mais probablement pas dangereuse.
C'est pourquoi la tournure que prenaient les événements n'avait aucune logique.

Sans qu'il n'ait aucun contrôle dessus, l'attention pourtant ferme qu'il portait au raz-de-marrée de sans-cœur en fut totalement arrachée. Ici, au milieu de cette fourmilière, une présence avait fait son apparition et ça n'avait pas de sens. Les signes annonciateurs n'étaient pas là, c'était beaucoup trop rapide, c'était trop trivial.

Lorsqu'il recevait les conseils de ses défunts amis, la réalité était alternée. Une illusion qui ne durait qu'une seconde mais qui en paraissait trente. Rarement plus, souvent moins. Un ciel blanc, une horizon relative, un champ de fleur ou un sol nu, un espace simple où la présence derrière-lui était la pièce maîtresse. Jamais il n'y avait de contact visuel, c'était comme une règle. Une fois, il avait senti le contact de la main d'Aerith sur son bras. Son cœur avait alors bondi dans sa poitrine, il avait cherché à se retourner. La vision avait alors pris fin.
Mais là ? Là, ce n'était pas pareil.

Le nombre des ombres ne faisaient que croître, leurs formes de plus en plus variées, et Cloud savait de moins en moins quoi faire. Au moment où il décolla son dos du mur pour se remettre en garde, des pas pressés se firent entendre quelque part au dessus de lui, puis un choc.
Le sol sous ses semelles trembla, des pavés se fissurèrent mais Cloud ne se retourna pas. Parce que c’était la règle, non ? Il aurait reconnu cette voix entre mille, et l’effet fut le même que la dernière fois où Zack était apparu pour lui venir en aide : sa gorge se serra et il se retrouva complètement désemparé.
Mais là ? Là, c’était trop réel.

- Alors ? Tu veux un coup de main ?

Cloud inspira sèchement et ne retrouva pas le moyen d’expirer, sa respiration piégée dans sa poitrine. Son immobilité ne dura que quelques secondes, mais plus ces dernières passaient, plus tout s’embrouillait dans sa tête.
Zack, c’était Zack, c’était une apparition de Zack derrière lui, dos à dos, comme la dernière fois. Mais le décor n’avait pas changé. La cité du crépuscule restait elle-même, et Cloud ne comprenait pas.
Alors, lentement, il se risqua à tourner la tête, comme si l’espace devant lui ne grouillait pas d’ennemis.

Cloud n’étais pas dénué d’expressions, mais ces dernières ne prenaient jamais trop de place sur son visage. Pourtant cette fois-ci, ses yeux s’étaient écarquillés et ses lèvres entrouvertes sous la surprise et la confusion. Lorsque ses yeux trouvèrent la silhouette toujours aussi familière de son meilleur ami, il pâlit considérablement, et la prise qu’il avait sur la garde de son épée faiblit un peu avant de se resserrer beaucoup trop fort.
Il voyait Zack, il le voyait, il était là. Comment ? Qu’est-ce qu’il se passait ?
Il n’avait même pas compris ce qu’il avait dit, tant la discorde régnait dans les pensées de Cloud, le rendant incapable de réagir.
Il l’avait vu mourir. Pourquoi Zack était-il là, avec lui, au milieu de tous ces sans-cœur ? Est-ce qu’il perdait la tête ? Une hallucination ? JENOVA ? Oh.

Il n’eut pas le loisir d’explorer plus de possibilités, rattrapé par la réalité immédiate. Plus loin, là où le terrain s’élargissait, un nouveau sans-cœur avait fait son apparition. Entièrement couvert d’une armure violette, il surplombait tous les autres, plus petits. Que Zack soit réel ou non, Cloud n’en avait encore aucune idée - ce qu’il savait, en revanche, c’était que s’ils restaient plantés là, la situation dégénérerait vite.
Cloud fit quelques pas en arrière, en direction de son meilleur-ami-peut-être-mirage, l’épée brandie vers le nouveau sans-cœur. Ce n’était pas par peur : il ne voulait quitter ni l’un, ni l’autre des yeux.
Il était toujours incapable de prononcer le moindre mot, cependant. Cloud et son mutisme ; il avait toujours cette mauvaise habitude.

Peut-être qu’il avait besoin d’un coup de main, oui.

Comme s’ils partageaient une seule volonté, les sans-cœur se mirent à bouger tous en même temps. Même s’il en avait eu la capacité, Cloud n’aurait pas pu adresser plus de quelques mots à Zack, car il fallait agir. Il lança un dernier regard à Zack (il n’avait aucune idée de l’air qu’il pouvait voir, probablement l’expression d’un homme qui venait de voir un fantôme) avant de s’élancer. Même si c’était pour une courte durée, peut-être qu’à deux ils pourraient au moins les repousser.