Cela faisait déjà quelques temps. Et le Roi Mickey était toujours dans ce profond coma. Nul ne savait s’il allait se réveiller un jour ou l’autre. En attendant, les gardiens commençaient difficilement à se réorganiser. Mais une chose était sûre : la chaîne de commandement traditionnelle s’était soudainement retrouvée énormément mise à mal. Et si certains maillons avaient pu tout de même fonctionner, il n’était pas étonnant de penser que certains autres se retrouvaient étonnamment en difficulté. Car, bien évidemment, certaines missions ne pouvaient être attribuées que par le Roi. Les Gardiens se retrouvaient plus ou moins désorganisés depuis qu’il avait été retrouvé. Mais cela, Zan l’avait déjà constaté lors de sa précédente mission. Et aujourd’hui, il voyait plutôt que les choses commençaient à s’améliorer. La dernière fois, c’était un beau bazar.

Heureusement pour lui, il se situait toujours plus ou moins à l’extérieur de la chaîne de commandement, si bien qu’il était parmi les moins impactés. Mais malgré tout, parfois, il devait tout de même suivre le chemin traditionnel, malgré toute l’affection qu’il portait à ce système. Mais bon, sans doute était-ce le prix à payer. Et dans une situation telle que celle-ci, il fallait bien parfois pouvoir faire des concessions.

La mission du jour, par conséquent, était de vérifier la stabilité de certains royaumes de cœur. Notamment ceux n’ayant pas de gardien attitré. Comme le Pays des Merveilles, par exemple. C’était en effet dans ce lieu où la folie était le maître mot et où la logique n’avait aucun droit qu’il devait se rendre… Non sans un certain plaisir, car, si la Reine de Cœur était absolument insupportable, il trouvait que le Chapelier Fou était d’une compagnie assez agréable. Malgré son goût pour cette substance horrible qu’on appelle le thé.  Enfin, en l’occurrence, peu importait. Il n’avait pas pour mission d’aller discuter avec les habitants. S’il pouvait même éviter d’alerter Alice, ce serait une bonne chose. Mais il devrait de toute façon éviter la Reine. Car, non contente d’être absolument insupportable et d’avoir presque entièrement refusé que les Gardiens viennent sur son territoire, elle éprouvait aussi une rancœur personnelle envers Zan. Oh, rien de bien méchant. Elle voulait juste lui couper la tête. Un hobby assez dérangeant en soi, et qui ne plaisait pas vraiment au jeune homme. Donc il était forcément inutile de chercher à envenimer la situation.

Ce fut dans avec ces pensée en tête qu’il arriva finalement dans le terrier. Il étouffa un juron en constatant qu’il lui faudrait passer par la pièce mystérieuse pour arriver dans le Jardin. Jardin où, à coup sûr, cette fichue Reine folle était en train de diriger un simulacre de procès où elle était à la fois juge, juré et bourreau, dans cette parodie de farce médiévale où son esprit semblait errer en permanence, là où sa suffisance n’avait d’égale que sa bêtise. Il allait donc devoir faire de son mieux pour l’éviter s’il voulait mener son inspection à bien sans être dérangé par la Reine ou ses gardes.

Il s’approcha donc de la table et prit une part de gâteau dans la main. Puis, pour ne pas se faire avoir par les effets du dit gâteau, contrairement à sa première visite dans ce visite dans ce monde, et sans doute aussi ce qui devait arriver à tous les nouveaux arrivants, il s’éloigna de la table, se posant au milieu de la pièce. Puis il mordit dans la pâtisserie. Son corps se mit aussitôt à rapetisser, conformément à ce qui était attendu. Il leva les yeux et vit la table qui le surplombait dorénavant, faisant très facilement quelques dizaines de fois sa taille actuelle. Puis il poussa un soupir avant d’aller toquer contre la porte pour réveiller la Poignée qui, comme à son habitude, dormait.

-Hé ! Réveille-toi ! J’ai besoin de passer, alors grouille ou je te décroche et je t’accroche dans les toilettes de la Reine.

La Poignée de Porte entrouvrit un œil et s’ouvrit en frissonnant et en maugréant contre l’impolitesse de la jeunesse. C’en était presque devenu un rituel. La première fois qu’il était venu ici, il avait tenté la politesse. Mais il s’était vite aperçu que les menaces marchaient mieux avec elle (lui ? Cette poignée avait décidément une voix bien masculine) que les cajoleries. Il avait donc pris l’habitude de s’adresser comme ça. Et c’est ainsi que, aujourd’hui comme les autres fois, il put pénétrer assez rapidement dans le Jardin de la Reine. Et il entendait évidemment déjà son horrible voix lui vriller les oreilles. Alors il se cacha derrière la haie et essaya d’observer sans être vu.

Comme prévu, il était en train d’assister à un faux procès. Il ignorait qui était la malheureuse victime mais compatissait complètement. Si cela lui était possible, il aiderait bien le faux coupable à s’enfuir. Malheureusement, il devait avant tout passer sans se faire voir. Il regarda à nouveau, ayant dans l’idée de s’entourer d’une barrière qui le rendrait invisible. Mais avant, il décida de sonder les alentours. Il faillit lâcher un hoquet de surprise mais se retint juste à temps. A coup sûr, la personne jugée était une Princesse de Cœur. Mais ce n’était pas Alice. Il avait donc sans doute affaire à une Pricnesse sans royaume, comme son amie Cyn’del. Hé bien, on dirait qu’il allait devoir changer ses plans.  Ou, pour être plus exact, il n’avait pas le temps d’en inventer un nouveau. Car la Reine venait de déclarer l’accusée coupable. Alors, il s’avança au vu et au su de tous et lança calmement un unique mot :

-OBJECTION !

Tous se retournèrent vers lui et la Reine manqua s’étrangler en reconnaissant l’impudent qui venait de l’interrompre. Impudent qui s’avançait au milieu de la cour comme si de rien n’était. Il ne s’inclina pas, n’eut pas la moindre marque de révérence. Les gardes-cartes, quant à eux, avaient déjà sorti leurs lances, mais il ne les craignait pas. Il se tourna vers la jeune fille dont il venait de sauver la tête et eut un sourire calme et rassurant avant de hocher la tête en direction de la Forêt des Lotus, lui faisant signe de s’enfuir.

-Tu devrais en profiter pour partir, jeune Princesse. Il n’est guère bon pour sa tête de monter à celle de cette glorieuse folle de cœur.

Etonnamment, le cri qu’il attendait n’avait pas encore retenti. Mais il savait que ce n’était qu’une question de seconde.

-QU’ON LUI COUPE LA TETE !

Hé bien, quand on parle du loup, on en voit la queue, comme on dit. Il secoua la tête avec un soupir désabusé. Certaines choses ne changeraient jamais.